Je suis un Canadien d’origine grecque natif de Montréal, ville où j’ai grandi et passé toute ma vie d’adulte.
Mon grand-oncle, qui habitait à Kranidi, dans la péninsule grecque du Péloponnèse, a émigré à Montréal dans les années 1880. À l’époque, Montréal comptait 150 000 habitants, dont un peu moins de 300 Grecs. Il a fondé le restaurant Geracimo en 1887. En 1906, son frère, mon grand-père paternel, est mort, laissant dans le deuil sa femme et huit jeunes enfants. Mon grand-oncle a alors décidé de faire venir ses quatre neveux à Montréal, en commençant par le plus vieux, puis ses nièces, l’aînée d’abord, et enfin sa belle-sœur, ma grand-mère. L’une de ses nièces est restée en Grèce avec son mari. Plus tard, les deux ont péri dans une épidémie, mais leurs enfants, un garçon et une fille, ont survécu. Mon grand père les a aussi accueillis à bras ouverts. Les neveux se sont mis à travailler dans le restaurant de mon grand-oncle et ont fait grandir l’entreprise. Les plus vieux occupaient les meilleurs emplois et servaient les clients, tandis que les plus jeunes s’affairaient en cuisine et dans l’arrière-boutique. C’était à mon père, le cadet, que revenaient les tâches les moins gratifiantes. Cela lui a toutefois permis de devenir un grand chef et il a ensuite transmis ses secrets culinaires à mes tantes et à ma mère. Les nièces n’avaient pas à travailler et les orphelins étaient assez jeunes pour fréquenter l’école.
Voici une publicité datant de 1928 faisant la promotion d’une pièce de théâtre. Dans le bas du feuillet, on peut lire une annonce pour le restaurant de mon père et de mon oncle : 35 cents pour un repas trois services!
Mon grand-père maternel a quitté l’île ionienne de Zante, en Grèce, pour s’établir en Amérique dans l’espoir de vivre une vie meilleure. Arrivé à Ellis Island, aux États-Unis, il a dû rebrousser chemin pour des raisons de santé et s’est ainsi retrouvé à Londres, où il a été hébergé par un proche pendant environ un an. Il a ensuite mis le cap sur Halifax, puis a poursuivi son chemin jusqu’à Montréal. Un an après son arrivée, il a fait venir sa femme et son jeune fils. Ils se sont établis dans l’arrondissement d’Hochelaga Maisonneuve, jadis un quartier ouvrier principalement habité par des immigrants européens, et quatre autres enfants sont venus agrandir la famille. Ma mère, sa fille aînée, a été forcée d’abandonner l’école à l’âge de 12 ans pour aider sa mère dans les tâches ménagères. Mes grands parents accueillaient constamment des invités dans leur maison, notamment des immigrants grecs de l’île de Zante ou d’îles avoisinantes à la recherche d’un port d’attache. Ils les aidaient à trouver du travail et à s’établir dans le pays.
Mon grand-père a travaillé comme épicier, mais cette carrière n’a pas été très fructueuse. C’est dans le cinéma, une industrie en pleine effervescence, qu’il a trouvé sa vocation dans les années 1920 : lui et trois compatriotes ont fondé la société United Amusement, à laquelle on doit la construction et la gestion de plusieurs salles de cinéma classiques, dont le Granada, un magnifique cinéma de style Art déco situé sur la rue Sainte-Catherine Est à Montréal, qu’on peut voir sur photo ci-dessous. L’édifice, construit à la fin des années 20, a depuis été restauré, rénové et rebaptisé Théâtre Denise-Pelletier.
La vie urbaine au Canada à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle n’était pas facile. Sans ressource, sans éducation et sans connaissance pratique du français ou de l’anglais, subvenir à ses besoins était en soi un exploit. Ces deux familles ont non seulement surmonté de redoutables obstacles, mais elles ont également prospéré et réussi à aider leurs proches et leurs compatriotes se retrouvant dans une situation semblable. Pour elles, le Canada était la terre de tous les possibles. Ici, il était possible de vivre à l’abri des conflits armés et des occupations étrangères, des déplacements de population, des guerres civiles et de la pauvreté.
Les choses dont nous profitons aujourd’hui en tant que Canadiens ne devraient pas être tenues pour acquises. Nous sommes tous très chanceux de faire partie de ce beau pays et je suis convaincu que mes prédécesseurs seraient du même avis.
George G – Triovest